Négocier au féminin coup de génie marketing ou réalité – Guila Clara Kessous, PhD

Bonjour à tous, je m’appelle Julien Pelabere et je suis négociateur professionnel. Mon métier est d’accompagner, former, assister des entreprises, organisations, à la conduite de leurs négociations les plus sensibles et les plus complexes. Bienvenue dans Pourparler, le podcast de la négociation. Notre ambition est simple : vous donner les clés pour mieux négocier, mieux négocier pour un meilleur futur professionnel et personnel. Aujourd’hui, j’ai la chance d’accueillir la pétillante Guila Clara Kessous. Bonjour Guila.

Bonjour Julien.

Comment vas-tu ?

Je vais très bien, merci de me recevoir dans ton beau podcast.

C’est gentil comme tout d’être présente parce qu’aujourd’hui on va parler d’un sujet qui est vraiment intéressant parce qu’il n’est pas évident à traiter, c’est notamment le genre en négociation. Mais avant de rentrer dans le cœur du débat, est-ce que tu peux te présenter pour les personnes qui ne te connaissent pas encore s’il te plait ?

Avec grand plaisir. Je m’appelle Guila Clara Kessous, j’ai obtenu mon doctorat sous la direction d’Elie Wiesel et je suis spécialiste de communication. Mes ères d’expertise touchent la psychologie positive avec laquelle je travaille en coaching, j’utilise notamment la méthode du professeur Tal Ben-Shahar, l’intelligence émotionnelle avec les méthodes de Paul Ekman, on y reviendra, qui aident beaucoup d’ailleurs à la négociation, négociation à laquelle je me suis formée par William Ury à l’université d’Harvard, le fameux auteur du best-seller Getting to Yes de la négociation raisonnée que tu connais bien Julien.

Elie Wiesel, pour les gens qui ne connaissent pas, prix Nobel.

Elie Wiesel, prix Nobel de la paix. C’est vrai qu’avec Elie Wiesel, j’ai approfondi cette notion d’aide à la communication pour des survivants de génocide, parce que c’est un survivant de la Shoah, de l’Holocauste, qui a vraiment montré une grande résilience au point de pouvoir se lever contre toutes les injustices et avec lui j’ai étudié cette notion de communication grâce à des techniques théâtrales puisque mon premier métier, c’est d’être comédienne. Donc c’est sur scène que je défends cette notion de négociation, et puis on va parler quand même de notre sujet d’aujourd’hui : négociation au féminin. Pour ce faire, sur la question du genre, ce sera le Women’s forum qui m’a nommée Rising Talents cette année. C’est comment réussir à gérer cette notion de genre dans un cadre de négociation, c’est bien ça notre sujet, n’est-ce pas ?

Oui. Je te pose la première question avec un côté un peu sulfureux mais négocier au féminin, est-ce que c’est un coup de génie marketing ou est-ce que c’est vraiment une réalité ? Est-ce qu’il y a vraiment des différences homme / femme sur la négociation ?

 Alors, par rapport à ce que j’ai pu voir au niveau coaching, c’est vrai qu’il n’existe pas véritablement de différence je dirais de nature. On parle souvent de la théorie du genre, en fait, elle n’existe pas. On a vu que les hommes et les femmes sont capables de pouvoir très bien se débrouiller en négociation. Par contre, ce que l’on peut voir, ce sont bien entendu des biais, des stéréotypes, qui vont empêcher l’un comme l’autre de pouvoir s’exprimer pleinement. Chez la femme, les stéréotypes et les biais, on en parlera, sont récurrents par rapport aux hommes et viennent essentiellement d’un parcours culturel. Alors, est-ce que c’est marketing ou pas ? Bien sûr, on va actuellement surfer sur la vague du #Metoo qui a été très bénéfique les 5 dernières années pour libérer la parole féminine face à des cas terribles d’oppression masculine. Ce n’est pas pour autant qu’aujourd’hui, lorsqu’on va avoir affaire à un homme en négociation, que les choses vont forcément être plus simples parce que l’homme aura en tête le #Metoo. Au contraire, c’est venu déplacer je dirais certains ressentis émotionnels qui sont intéressants aussi à observer, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, quand on s’exprime sur la question du genre, on va avoir en sous-texte un contexte qui fait que l’homme va aussi se sentir un peu mal parce qu’il sait que, très vite, s’il y a quelque chose qui va dévier, le balance ton porc peut être un risque réel. Quant à la femme, quelques fois, et ça existe aussi, même si, on y reviendra, le paternalisme continue à gangréner la négociation, elle va mettre en place des processus défensifs qui n’ont pas lieu d’être. C’est quelque chose qui est assez intéressant.

Est-ce que les femmes négocient différemment que les hommes ? Parce que tu me dis qu’effectivement, il y a des notions de stéréotypes, c’est-à-dire de perceptions de la réalité avec des croyances qui peuvent être plus ou moins limitantes, toi, qu’est-ce que tu observes ? Est-ce que les femmes agissent différemment dans la négociation ? Est-ce qu’il faut agir différemment en fonction du genre de son partenaire de négociation ? C’est quoi ta perception de cette situation parce qu’elle est vraiment intéressante, il y beaucoup de messages contradictoires aussi et il y a beaucoup d’études qui réalimentent cette notion de stéréotypes.

En fait, de ce que je peux remarquer, c’est que chez la femme, de par l’éducation essentiellement, de par l’encadrement culturel qui va avoir lieu très tôt, on va avoir quelque chose qui va être plus à l’écoute. Pourquoi ? Parce qu’une femme qui va s’exprimer, qui va parler en premier, sait qu’elle va moins obtenir, d’ailleurs, c’est une des règles de la négociation et je pense que du côté féminin, on l’a bien compris. C’est ce qu’on interprète comme le care, qui là aussi est quelque chose que l’on plaque un peu rapidement sur l’élément féminin, c’est-à-dire cette volonté empathique de pouvoir aider l’autre, materner l’autre, être là dans une certaine volonté sacrificielle et qui est très mauvais au niveau féminin dans un cadre de négociation. Il existe chez certaines femmes mais je dirais encore une fois comme une déformation pédagogique. Un homme aura beaucoup plus de mal, par rapport aux cas que j’ai pu coachés, à se retenir de pouvoir parler tout de suite, donner tout de suite sa position, expliquer ce qu’il recherche dans la négociation, ce qui fait que, quelques fois, lorsqu’on a une négociation purement masculine, on va aller directement dans le vif du sujet. Quand on a quelque chose qui est homme / femme, on va avoir une femme qui va avant tout chercher à comprendre mieux, intuitivement je dirais, le pourquoi, l’intérêt, le besoin derrière la demande et donc on va tout de suite rentrer dans quelque chose qui va être plus intuitif ou en tous cas moins explicatif.

C’est génial parce que quand j’ai préparé ce sujet, j’ai regardé un peu les études qui ont été faites et dans l’une des études les plus anciennes, ce n’est pas récent, c’est de 1980, de Kimmel, Pruitt et Carnevale, c’est exactement ce qu’ils disent, c’est-à-dire que les femmes vont parler moins que les hommes, vont être plus dans une dynamique d’écoute et vont peut-être être un tantinet moins assertives pendant la phase de négociation. Or, on se rend compte que qui ne demande rien n’a rien. D’une certaine manière, dans les négociations, les personnes qui demandent le plus obtiennent le plus et il y a un livre assez récent de Babcock en 2003, Women don’t ask, qui expliquait qu’à la sortie de Carnety Muholand Graduate, à la sortie de ce Bac+5, tu as 50% des hommes qui négocient leur salaire, 7% des femmes qui vont négocier leur salaire et le reste ne négocie pas. Et c’est vraiment intéressant parce qu’on se rend compte que c’est 8 fois plus important, c’est un ratio énorme et cette croyance de se dire que les femmes sont plus dans l’écoute et que les hommes vont plus demander, je trouve que ça réalimente cette notion de stéréotype, qu’est-ce que tu en penses ?

En fait on a toujours l’injonction du « sois belle et tais-toi » qui est là. C’est vrai qu’une petite fille, en termes d’éducation, on va lui dire beaucoup plus souvent qu’il faut qu’elle soit belle, il ne faut pas qu’elle dise non et donc très naturellement, on va dire que le petit garçon est insupportable parce qu’il a beaucoup d’énergie alors que la petite fille, on va la canaliser avec des sports comme la danse classique, du piano, un petit peu l’éducation à l’ancienne. Aujourd’hui on commence à changer, je dis bien on commence, parce que c’est encore difficile de se faire à l’idée que la danse classique puisse être faite dès petit par un garçon, donc on commence à changer, mais quand on commence à observer la danse classique ou le piano, ce sont des activités très solitaires avec un but de perfection. Ce que l’on voit, c’est que le perfectionnisme chez la femme, dans un cadre de négociation, n’est pas du tout le même que chez l’homme, c’est-à-dire que par le fait de développer cette stratégie du discours, la femme va garantir une négociation qui va être plus longue, elle ne va pas d’emblée annoncer la couleur, ce qui fait qu’elle ne va pas aller d’emblée au clash. L’homme lui aura moins peur et ce qui est intéressant à avoir en tête c’est, un petit peu comme dans le monde de la séduction, un homme à qui on va dire non va se dire : elle ne sait pas ce qu’elle perd, de toute façon, je la trouvais moche, elle n’avait aucun intérêt, alors qu’une femme à qui on va dire non va se sentir rejetée et va vivre ça comme un échec très dur pour essayer de se remettre, donc ce que tu dis par rapport à cette étude c’est qu’en fait, on voit que la femme d’emblée va essayer d’obtenir le oui, ce qui fait que la stratégie n’est pas mauvaise en termes de négociation, sauf que, quand il faudra affirmer la couleur, la fameuse batna, le plan B si jamais ça ne marche pas, là, un, la volonté de ne pas avoir de non et deux, la volonté de ne pas faire de peine, il y a encore quelque chose qui est très féminin vis-à-vis de ça, va faire en sorte que la femme va admettre quelque chose qui ne lui plaira pas dans un compromis qui peut être en sa défaveur par rapport à un homme qui ne se laissera pas faire et qui d’emblée vivra l’échec en se disant : de toute façon, il ne me méritait pas. Ce « il ne méritait pas », une femme va avoir beaucoup de mal à pouvoir le dire d’elle-même.

Je retiens plein de choses. Juste une petite précision pour les gens qui nous écoutent, la BATNA, c’est la Best Alternative To Negociated Agreement, c’est-à-dire c’est une option qui n’est pas à la table de la négociation, une alternative, une MESORE, c’est : qu’est-ce que je fais si je n’ai pas d’accord avec l’autre ? Ce « sois belle et tais-toi » m’a vraiment interpellé parce que dans mon éducation, on ne m’a jamais dit ça, on ne m’a jamais dit : « sois beau et tais-toi » et ce que je comprends de ta comparaison avec la danse classique, c’est qu’il y a une notion de geste bien fait qui est plus important que le résultat chez la femme alors que j’ai l’impression que, dans mon éducation de petit garçon, c’était plus le résultat qui prévaut, c’est-à-dire ce fait d’être sur un résultat positif quel que soit le chemin, sans aller sur des comportements de passager clandestin ou de sortir de la règle, il faut travailler pour avoir des résultats. De ce que j’entends de ce que tu dis c’est que la relation à l’autre est plus importante alors que chez l’homme, c’est plus l’output, la conséquence de la négo avec un résultat positif ou négatif qui va venir apprécier son travail, c’est ça ?

Ce qui est intéressant c’est de voir qu’en fait, le petit garçon, par des jeux de balle ou de stratégie, que ce soient les échecs, le foot – encore une fois, aujourd’hui on commence à changer ça – quand on fait faire très tôt un jeu stratégique, une activité stratégique à un enfant, il va comprendre qu’il a un rôle bien précis, un rôle important, que s’il ne joue pas, l’équipe ne va pas pouvoir réussir à obtenir ce qu’il veut. Dans un cadre de danse classique ou de piano, la petite fille, qui avait encore ces activités de façon traditionnelle une ou deux générations auparavant, doit fondre ce perfectionnisme en se basant sur le perfectionnisme de l’autre, c’est-à-dire que le geste que je fais doit être tellement parfait qu’il doit surtout ne pas être mieux fait que ce lui d’à côté ou moins bien fait que celui de l’autre, pourquoi ? Parce qu’un corps de ballet doit être une masse qui va être parfaite en elle-même, c’est-à-dire qu’on va se calquer sur une perfection globale. Si jamais on est meilleure, on deviendra peut-être danseuse étoile, on sera bien seule en étant danseuse étoile et là on aura bien sûr un code à appliquer qui sera différent, mais si on prend un corps de ballet ou même le piano, il y a quelque chose qui est de l’ordre de la solitude vis-à-vis du geste parfait pour pouvoir répondre à une certaine norme du groupe et ça par exemple, ça va être ressenti en termes de négociation comme : je vais devoir être absolument parfaite pour pouvoir parfaitement rentrer dans la norme de l’autre, pas tant pour un résultat personnel mais pour un résultat global. Donc je dirais que, par rapport à cette éducation-là, on va voir que la femme va être plus sensible à un résultat qui va prendre en considération une idée de « je suis comme les autres » alors qu’un homme va essayer de voir « comment je ne suis pas comme les autres, comment je peux voir vis-à-vis de la compétition et comment est-ce que je peux réaliser et dire à mon boss que moi, je suis meilleur que les autres et que je ne suis pas en accord avec certains autres qui ne font même pas partie de mon clan ». Cette façon de regarder la compétition est vraiment intégrée assez rapidement d’un point de vue masculin puisqu’on a cette relation d’équipe alors que chez la femme, on va avoir quelque chose qui va être, je dirais, une mesure vis-à-vis des autres dans son propre groupe.

C’est vraiment passionnant ce que tu dis, ça fait appel à plein de réflexions dans ma tête. Il y a Anderson et Shiraco en 2008 qui ont montré que les femmes étaient plus dans une dynamique corporative dans le processus de négociation, mais les 2 exemples que tu as donnés sur le petit garçon qui va faire du foot ou des échecs et la fille qui va faire du ballet ou du piano, sont vraiment intéressants je trouve parce que le garçon a toujours face à lui une équipe, il a un adversaire, c’est-à-dire qu’il est dans une logique à vouloir performer, à vouloir être meilleur que l’autre alors que dans les exemples que tu m’as donnés chez la fille, son seul adversaire c’est elle-même, c’est-à-dire qu’elle doit être la meilleure version d’elle-même au piano ou dans le ballet. Donc ce que j’entends, c’est qu’au-delà du fait que l’on soit différent d’un point de vue chromosomes, c’est notre éducation, ce qu’on va nous inculquer qui va développer cette différence. Effectivement, si toute mon éducation on m’a dit « sois belle et tais-toi », je suis toujours en compétition contre moi-même et si la relation prévaut c’est très différent de si toute mon éducation on m’a dit il faut que tu performes, il faut que tu sois meilleur que les autres, pas forcément bon mais meilleur que les autres, et dans une dynamique de combattant. Forcément, ça va m’impacter sur la négociation qui bénéficie déjà, malheureusement, du stéréotype que la négociation, c’est un combat contre l’autre.

Tout à fait, et je vais même aller plus loin, on a cette injonction : « sois belle et tais-toi » et on a aussi cette injonction de : « il faut souffrir pour être belle » et donc cette idée de ne pas s’écouter, de serrer les dents pour aller plus loin. C’est très intéressant parce qu’on voit cette notion-là même dans les équipes de foot féminin. Ce n’est seulement être comme les hommes, c’est pouvoir dépasser ce qu’on peut imaginer être des limitations de femme. En faisant ça, je ne dis pas que l’on va contre nature mais d’une certaine manière, on va profondément contre ce qui a été inculqué, à savoir que le chemin va être dur. Pourquoi ? Parce qu’il va y avoir non seulement parce qu’il va y avoir des questions hormonales, mais il va y avoir aussi la grossesse, donc des moments de souffrances qui vont être assez peu communiqués mère / fille, père / fille non plus, donc il va y avoir quelque chose d’un peu tabou pour lequel les parents vont compter sur le clan des filles pour se le dire entre elles, que la petite fille va découvrir par elle-même et va comprendre qu’elle est faite pour cette souffrance, pour apporter quelque chose à l’humanité. Donc à chaque fois qu’elle va devoir crier victoire, c’est vraiment crier, avoir la victoire, c’est-à-dire faire un dépassement à la fois psychologique, physique vis-à-vis de ce qu’on a pu lui dire à chaque étape. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de frustration dès l’enfance du point de vue masculin, mais il y pas cette espèce de façon de vivre son état genré comme étant une constante façon de pouvoir réussir à obtenir une victoire sur elle-même. Ça, on le voit dans la négociation, c’est clair

C’est vraiment intéressant de le percevoir comme ça. Tout ce qui va nous construire va se faire sur notre petite enfance, que l’on soit un homme ou que l’on soit une fille. Et ce qui pourrait être perçu, j’ai l’impression, comme « pas de victoire facile » d’une certaine manière, peut développer la résilience des femmes peut-être plus facilement mais, dis-moi si je me trompe, cette résilience peut aussi nous amener à nous oublier nous-mêmes et à faire taire une forme de de mal-être, de malaise au nom de cette résilience qui normalement devrait être une vertu mais qui, à ce moment-là, peut me desservir dans mon quotidien par rapport à des comportements qui seraient acceptables. C’est ça ?

Ce qui est intéressant c’est que l’on voit cette idée de résilience d’un point de vue masculin et d’un point de vue féminin différent. C’est-à-dire que lorsqu’un homme va commencer à rentrer dans une idée dépressive en disant mais qu’est-ce que je suis finalement ? Cette idée de « qu’est-ce que je suis », ce serait l’entropie, c’est-à-dire rester devant la télévision, pas bouger, pleurer et ne pas réussir à revenir sur le ring. Une femme va vivre la même chose, une entropie, se laisser aller, en attendant, c’est surtout se dire : je ne suis qu’une femme. « Je ne suis qu’une femme », c’est-à-dire je suis destinée à avoir des enfants, je suis destinée à pouvoir… On a tout le temps en sous texte ce travail. Même pour les plus combattives d’entre nous, il y a toujours cette idée que si elles-mêmes réussissent à dépasser ça, il y aura toujours quelqu’un pour le rappeler et quelqu’un de leur famille, et pas forcément quelqu’un de masculin, quelqu’un qui est aussi une femme, qui se considère une façon perfectionniste d’avoir réussi c’est-à-dire avoir des enfants, réussir dans son couple, avoir réussi à les encadrer financièrement et leur donner tout ce qu’il faut pour un bon développement, une femme qui considérera que, elle, a mis sa pierre à l’édifice et qui considérera l’autre comme étant quelqu’un de traître, qui va essayer de prouver quelque chose qu’elle n’a pas besoin de prouver et ce qui fait qu’aujourd’hui, encore une fois, dans la négociation et dans d’autres activités, il y a cette petite voix à l’intérieur de la femme qui ne dit pas la même chose à l’homme et c’est ce qu’on appelle la charge mentale c’est-à-dire : mais est-ce que tu es en train de réaliser que ce que tu fais est contre nature ? Et ça, qu’elle se le dise ou que quelqu’un d’autre le lui rappelle. Tu l’as très bien dit, c’est contre elle-même que la femme a le plus à travailler, a le plus à combattre dans un cadre de négociation avant tout.

Ce que j’entends c’est que cette petite voix peut venir de la femme, mais elle peut venir d’un regard extérieur qui peut être masculin mais aussi féminin.

 Tout à fait.

Cette croyance limitante qu’on a, nous, en tant que femme, on peut la transmettre inconsciemment à nos enfants.

Inconsciemment ou consciemment, c’est-à-dire qu’aujourd’hui on a beaucoup de mouvements féministes et on a beaucoup de mouvements féministes très intéressants même d’un point de vue religieux, qui confirment un certain conservatisme avec une vraie noblesse, avec une vraie fierté en disant : mais les filles, pourquoi vous allez essayer d’aller contre nature ? Laissez-vous aller, acceptez le côté féminin, et accepter le côté féminin c’est pouvoir continuer à apprécier recevoir, apprécier faire la cuisine, apprécier être avec ses enfants et, quand on l’écoute, c’est assez déroutant parce qu’on nous a tellement donné ça en termes d’héritage, en termes de transmission, qu’entendre ça, pour certaines, ça heurte, mais certaines qui ont dû faire ce chemin. Pour d’autres, celles qui sont encore dans le choix, c’est-à-dire : est-ce que je fais une carrière ou est-ce que je reste femme au foyer, qui n’osent pas et qui finalement ont cette vision aussi féminine dans un cadre familial, c’est très difficile d’aller chercher ailleurs, surtout quand on vous dit que c’est le bonheur.

C’est vraiment passionnant. Maintenant, on va essayer d’apporter notre petite pierre à l’édifice. Si je suis une femme, comment est-ce que je peux m’émanciper de ces croyances limitantes ? Quels sont les 3 conseils que tu donnerais à des femmes qui voudraient négocier en faisant preuve de plus d’assertivité et est-ce que c’est important qu’elles soient dans une dynamique plus assertive ? Là je pensais à Claudia Neptina Manea qui a sorti une étude en 2020 qui disait que, d’une certaine manière, la femme n’était jamais aussi performante que quand elle assumait totalement son côté féminin avec les qualités et les défauts mais peut-être avec cette charge cognitive en moins, quels sont les conseils que tu donnerais à la femme qui veut négocier ou aussi peut-être en termes d’éducation, au père ou la mère qui va préparer la future génération de futures négociatrices et futurs négociateurs ?

Je reviens sur ce que tu dis en termes de charge cognitive en moins. Pour préciser, je pense que les hommes et les femmes ont tous les deux une charge cognitive, mais vraiment différente. Quand on arrive sur le terrain de bataille, en termes de négociation, on voit que la femme a une capacité d’anticipation sur comment elle va être vue par les yeux des hommes, on le voit aussi dans Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus, quelques fois, les femmes sont en train de compter le nombre de secondes quand on est sur des sites de dating que le garçon va mettre pour répondre alors que le garçon fait simplement n’importe quoi d’autre, il ne se pose pas la question. Donc on a tout un travail d’anticipation et de réflexion, on parle de charge cognitive, que la femme va pouvoir presque fantasmer alors que l’homme va réussir à pouvoir faire quelque chose de beaucoup plus simple, beaucoup plus direct, sans vraiment se poser de question, ce qui fait qu’on va pouvoir aller dans une démarche qui est beaucoup plus une démarche d’action face à une démarche de réflexion si on veut être caricatural. Des conseils… Alors, déjà, une première chose d’un point de vue intelligence émotionnelle, je sais que tu as un podcast qui est dédié à cette magnifique matière qu’il faut absolument que les femmes puissent connaître. Je te laisse le dire le nom de la personne avec laquelle tu t’entretiens.

C’est Thierry Paulmier. On a déjà enregistré le podcast, je ne sais pas quand est-ce qu’il va sortir, mais on aura un podcast sur l’intelligence émotionnelle, comment on fait preuve d’intelligence émotionnelle en négociation. Est-ce que tu veux aller un peu plus loin sur cette partie ?

 En premier conseil, je pense que cette notion d’intelligence émotionnelle, il faut qu’elle soit très claire vis-à-vis des femmes c’est-à-dire que l’émotion ne doit pas être quelque chose de constamment refoulé. Je ne dis pas qu’il faut que ce soit quelque chose qui explose, mais une femme qui va être constamment dans le refus de toute sensation émotionnelle, même en termes de souffrance en disant : je n’ai pas mal, je n’ai pas mal, je n’ai pas mal – généralement c’est aussi cette espèce de blindage qu’on peut avoir face à de la négociation – ça donne des craquages et cette phase de craquages, ça donne des choses face à des patrons qui peuvent être très mal vécues et qui peuvent faire acte de soumission, qu’il faut absolument contrecarrer. Pour ce faire, je dirais qu’un des premiers conseils c’est vraiment de pouvoir être au fait de l’intelligence émotionnelle, connaître les émotions de base, comprendre à quoi elles obéissent en termes de besoin et surtout avoir comme conscience que la colère et en particulier tout ce qui va toucher à l’agressivité est très mal perçue d’un point de vue féminin. Immédiatement, dès vous allez montrer quelques signes de colère ou quelques signes d’agressivité, on va vous dire que vous êtes hystérique et je rappelle que l’étymologie d’hystérie c’est utérus, donc on va simplement vous dire, Mesdames, que vous devez sans doute avoir vos règles. Ça, ce sont des choses qu’il faut savoir.

D’ailleurs, ils ont changé ça sur le DSM V parce que l’hystérie étant une maladie, maintenant on parle d’histrionique, et ça te rappelle tes premiers amours puisque l’histrion, c’est l’acteur dans le théâtre italien. Donc on a changé ce côté genré de l’hystérie en histrionie. Il y a un propos qui est vraiment intéressant : la colère est moins bien perçue chez la femme que chez l’homme quand je t’entends. Pour moi, chaque émotion est saine en négociation. C’est l’hubris, c’est-à-dire la démesure dans l’émotion, qui n’est pas saine, mais j’ai le droit d’être en colère en négociation. Écoute, ton comportement n’est pas acceptable Guila et ça me met en colère. J’ai le droit de le dire. C’est effectivement ce que tu as dit, c’est l’excès de colère, c’est l’agressivité ou la violence qui est condamnable, mais le fait d’être en colère va me permettre d’être plus vigilent par rapport à l’interaction que je vais avoir, par rapport aux contreparties, au même titre que la joie est une émotion très saine parce qu’elle permet la création du lien plus facilement, de créer des dynamiques de confiance, l’excès de joie va être néfaste dans la négociation parce que je serai moins vigilent, j’aurai plus la capacité à me « faire avoir » dans la négociation. C’est vraiment intéressant ce que tu dis, d’une certaine manière il faut être en capacité d’assumer, d’embrasser ses émotions qu’elles soient positives ou négatives. Je pense que toutes les émotions sont positives en dehors du dégoût qui peut être vraiment un frein à la négociation, mais il ne faut pas avoir peur, quand je t’écoute, de mettre des mots, de ventiler ses émotions, ne pas les conserver jusqu’au moment où elles vont exploser, c’est ça ?

Exactement. Tu as parfaitement raison, la colère, comme les autres émotions, est une émotion positive. Il n’y a pas d’émotions négatives. Ça, Tal Ben-Shahar le disait souvent, le fameux professeur de bonheur à l’université d’Harvard que je vous conseille vivement de pouvoir découvrir. La colère est saine, par contre son expression ne l’est pas, en particulier d’un point de vue féminin. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’un homme qui va être en colère va pouvoir, au niveau des 5 piliers de la communication, au niveau de la voix, du regard, de la gestuelle, de l’ancrage, de ses silences, faire montre d’une certaine puissance si on doit parler de pouvoir. Une femme qui est en colère, si jamais elle fait montre des mêmes signaux, des mêmes manifestations, va être vue comme hystérique. Donc quand on est en colère comme tu dis, on peut passer par une formalisation d’un point de vue mots, une mise en mots, ou on peut le faire savoir mais le faire savoir différemment. Pourquoi ? Parce que si je commence à crier, d’un point de vue féminin la voix a tendance à être assez haute, immédiatement il va y avoir dans la tête de la personne en face cette idée que ce n’est même pas la peine de commencer à lui parler, elle est complètement aveugle à ce que je lui dis. Quand je dis ça, ce n’est pas encore un phénomène de maîtrise, c’est un phénomène de reconnaissance des émotions, nommer l’émotion et réussir à la faire paraître, à la faire entendre pour que l’autre puisse la reconnaître et la faire rentrer dans quelque chose que l’autre peut également traiter parce que c’est juste ça, il faut que vous puissiez continuer dans le cadre de la négociation à pouvoir rester dans un certain traitement de l’information pour pouvoir constituer l’équipe que l’on souhaite que vous puissiez constituer. Donc, encore une fois, être au fait de l’intelligence émotionnelle, faire attention à ces signes qui nous échappent et qui peuvent être perçus comme purement féminins tels que la colère pour l’hystérie, et manifester quand on touche à la colère des choses qui peuvent être compréhensibles pour l’homme et ça, c’est quelque chose qu’il faut avoir en tête. Ça ne veut pas dire s’adoucir, ça veut dire, peut-être, faire montre d’une colère beaucoup plus froide, peut-être plus cassante, peut-être avec un humour, parce que là l’homme est plus fort que la femme, un humour noir. Certaines femmes qui ont un humour noir vont immédiatement être caricaturées dans certains films, je pense notamment à Cruella ou à d’autres femmes de cinéma, mais bizarrement si vous réussissez à faire montre d’une certaine capacité à garder la tête froide et à être assez cassante, vous allez déstabiliser votre interlocuteur qui va presque rire malgré lui parce qu’il s’attend à ce que vous puissiez être débordée par la colère, débordée par l’émotion alors que vous allez lui montrer que non seulement vous avez reconnu l’émotion qui vous habite, mais vous allez réussir à la transformer pour lui renvoyer ce que vous savez que lui va être capable de pouvoir prendre et ça, je trouve que c’est très intéressant. L’intelligence émotionnelle est une clé très importante pour les femmes à avoir aujourd’hui.

Je ne sais plus qui a mené cette étude, c’était à Harvard, qui montrait que dans une négociation, si tu te mettais en colère, tu pouvais avoir des résultats plus intéressants que si tu ne mettais pas en colère en termes d’assertivité. Néanmoins, tu abîmais la relation à l’autre. La colère froide permettait d’obtenir un peu plus que la colère sans trop abîmer la relation. C’est vraiment intéressant parce que je voulais y venir et tu l’as mentionné. La colère froide montre que tu as un certain contrôle du processus et de toi-même et c’est une forme d’assertivité.

Tout à fait. C’est une maîtrise du processus, du système et surtout une capacité d’autodérision. Bizarrement, rire de soi alors qu’on pense que l’on n’est pas parfaite, qu’on ne correspond pas aux stéréotypes de la bonne jeune femme qui doit faire une carrière plus une vie personnelle etc. Réussir à rire de ça va vous donner l’occasion de pouvoir couper l’herbe sous le pied de votre interlocuteur qui lui ne pourra pas rire de ce que vous avez déjà découvert.

Bien sûr. Donc 2 tips de ce que j’entends : prendre du recul sur la situation et mon rôle dans la négociation, sur cette croyance qu’on m’a dit qu’il fallait que je sois parfaite et l’autre chose, c’est être en capacité de nommer ses émotions, de les exprimer pour éviter qu’elles ne viennent me pourrir l’intérieur, c’est ça ?

Sur le premier tips, je vais essayer d’être le plus concret possible, c’est vraiment reconnaître ses croyances limitantes, reconnaître quand j’ai un petit perroquet qui commence à revenir me parler et me parler de moi par moi, parce que les femmes savent très bien sur quel bouton appuyer pour s’autodétruire. Elles savent très bien quoi se dire d’un point de vue physique, d’un point de vue mental, d’un point de vue psychologique, donc on est constamment son propre bourreau dans ce cadre de perfectionnisme. Donc, reconnaître ses croyances limitantes et les changer, et faire en sorte que lorsqu’on les entend, on sache d’où ça vient et les renvoyer à l’expéditeur en disant : non, je ne rentrerai pas aujourd’hui dans ce jeu-là. Donc ça, c’est vrai, une première recommandation sur cette conscience des croyances limitantes. Une deuxième recommandation sur cette capacité d’intelligence émotionnelle, reconnaître l’émotion et justement la traiter, la digérer pour la manifester sous une forme que l’autre peut réaliser avec notamment cette capacité d’humour et d’autodérision que l’on peut développer. Ça, ce sont 2 premiers tips.

Et puis ça permet de préserver la relation à l’autre et après il est responsable de ce qu’il en fait. Est-ce que tu aurais un troisième tips sous le pied pour les femmes qui veulent nous écouter et qui voudraient négocier, faire preuve davantage d’assertivité sur un salaire, sur quelque chose qu’elles n’ont jamais forcément osé demander et se dire aller, j’y vais ?

Il y a un troisième tips qui est très important, c’est celui de répéter. Répéter, ça veut dire quoi ? C’est essayer de trouver un ami, une amie, avec lequel vous allez pouvoir être non seulement vous-même face au patron, vous-même face à la personne avec laquelle vous négociez, mais qui va vous proposer de jouer le rôle de la personne face à laquelle vous vous trouvez. C’est-à-dire que si vous devez négocier un salaire, vous allez demander à quelqu’un de neutre de vous poser 3-4 questions. Les questions peuvent être les suivantes : ça fait combien de temps que vous êtes dans la boîte ? De quoi vous êtes le plus fière ? pour que vous puissiez, avec ces 2 questions, rentrer dans le rôle.  L’autre question va être : qu’est-ce que vous pensez de cette personne qui va négocier avec vous ? Cette personne de toute façon, elle est très forte d’un point de vue boulot, mais psychologiquement, elle ne tient pas. Et en fait vous allez voir qu’en parlant, essayez de vous enregistrer et d’écouter ce que vous dites, à un certain moment, vous allez tellement jouer le rôle que la personne avec laquelle vous devez négocier va dire des choses à travers vous qui vont être les arguments que vous allez devoir reprendre dans un cadre de négociation et ce travail, psychologiquement, ce n’est pas seulement se mettre à la place de, c’est carrément être l’autre à un moment pour qu’il me dise ce qu’il attend, lui, de la négociation et déjà anticiper toutes les réactions que la personne peut avoir. Tu vas aussi nous offrir un podcast avec un acteur et je pense que c’est très utile aux interlocuteurs que l’on comprenne la capacité de négociation qui va être décuplée s’il y a cette possibilité de répétition.

Totalement d’accord et je trouve que la répétition, le fait de répéter, c’est un terme qu’on retrouve dans le théâtre mais c’est toute la phase de préparation que l’on a en amont de la négociation et d’entraînement. Et tu vois, je trouve qu’on ne le retrouve pas dans le monde de l’entreprise, c’est-à-dire que dans le monde de l’entreprise, c’est soit on se forme à la négociation et c’est 1 ou 2% des gens, soit on performe. Chez les sportifs de haut niveau, tu te formes, ou chez les forces spéciales, et toute ta vie tu t’entraînes, tu fais tes gammes et après tu performes et le fait de s’entraîner crée des connexions dans son cerveau. Je trouve ça génial de se préparer, de s’entraîner avec quelqu’un – alors, on pourrait le faire seul, c’est ce qu’on peut retrouver dans la programmation mentale de la réussite, sur de la préparation mentale ou sur ce type de discipline – parce que ça va me permettre d’aller chercher des réponses à des questions qui ne sont pas encore posées et donc, d’une certaine manière, de préparer un scénario du pire, un scénario le plus favorable, un scénario middle et je vais m’entraîner dans cette situation-là et voir comment ça va m’affecter et une fois que j’ai déjà vécu ces émotions, le jour où je vais les vivre en live, elles seront moins importantes et je serai plus à même de faire preuve d’intelligence, d’agilité par rapport à cette situation. C’est vraiment top. C’est vraiment intéressant.

2 choses, Julien, sur cette idée de ne pas répéter dans un cadre d’entreprise. De ce que j’ai pu voir en tant que coach, c’est que l’on ne répète pas dans un cadre d’entreprise, un, parce qu’on dit qu’on n’a pas le temps. La première réponse, c’est la fatigue et la volonté de non-perte de temps. Pour les femmes ce sera une volonté de non-désacralisation. Il y a quelque chose qui est de l’ordre de la peur de l’anticipation qui fait que si jamais je répète, peut-être que ça va mal aller et d’un point de vue quasi-superstition, peut-être que je vais déclencher le fait de perdre. Je sais que je n’y arriverai pas, en plus je n’ai pas envie de commencer à m’énerver ou à pleurer devant mon ami donc cassez ces tabous-là. C’est vraiment quelque chose d’important. La négociation, il faut qu’elle puisse être désacralisée. L’autre personne – et là je m’adresse en particulier aux femmes – vous êtes son égal, vous avez exactement les mêmes besoins physiologiques, c’est quelque chose à garder en tête pour que vous puissiez entrer en contact d’être humain à être humain. Quelques fois, il y a vraiment tout un travail mental chez la femme qui est vraiment la relation taboue et pour casser cette perspective sacralisée, il faut pouvoir entrer dans la répétition.

Totalement d’accord et d’ailleurs, par rapport à ce que tu viens de dire, c’est déjà de prendre conscience, que l’on soit un homme ou une femme, que quand on négocie avec quelqu’un, tout le monde a du pouvoir. Alors on n’est peut-être pas à 50/50 mais on a forcément du pouvoir. S’il n’y avait pas de pouvoir, on serait dans une relation de maitre et esclave et même là-dessus, les travaux de Rougeot nous disent que l’esclave pourrait avoir du pouvoir.

Elle est égale aussi rappelez-vous.

C’est ça. Donc on a tous du pouvoir et c’est prendre conscience que si l’autre négocie avec nous, même si on est dans une position défavorable, c’est qu’on a quelque chose que l’on peut lui apporter et donc c’est prendre, ou en pouvoir de nuisance ou n’importe quel type de pouvoir, mais en tous cas on a du pouvoir et on peut légitimement aller chercher une conséquence, un output positif dans la négociation. C’est vraiment top.  

Ce n’est pas seulement que l’on peut lui apporter quelque chose, ce n’est pas seulement que la personne a besoin de nous, rappelez-vous que dans la négociation, le but n’est pas la dépendance en montrant que l’un ne peut pas vivre sans l’autre, l’indépendance, on fait notre vie, c’est l’interdépendance. Rappelez-vous ça vous ça aussi d’un point de vue final. L’interdépendance, c’est-à-dire que l’on est tous les deux majeurs, on est les deux mûrs et on choisit d’avoir cette relation là parce qu’on sait qu’en gardant et en maintenant cette relation, les deux peuvent aller plus loin. C’est ça l’interrelation et il faut vraiment l’avoir en tête parce qu’on n’est plus dans cette relation de soumission ou de justification avec un regard adolescent ou de rébellion.

Alors c’est intéressant parce que je ne pensais pas du tout aller là-dessus, mais c’est aussi peut-être important de désacraliser le fait que s’il n’y a pas d’accord, il n’y a pas d’accord. Et il vaut mieux qu’il n’y ait pas d’accord qu’un mauvais accord, que l’on soit un homme ou une femme très clairement. Mais il n‘y a pas mort d’homme s’il n’y a pas d’accord et les deux parties prenantes sont 100% responsables du résultat. Ça veut dire que je n’ai pas à culpabiliser, si je suis un homme ou une femme, de dire : on n’aura pas d’accord. C’est l’autre qui est responsable autant que moi et c’est se retirer ce poids de se dire il n’y a pas d’accord, on est en accord au moins sur le désaccord.

 Pour se retirer ce poids, il faut pouvoir préparer ce dont on parlait, la fameuse batna – la best alternative to negociated agreement – c’est-à-dire qu’est-ce qui se passe s’il n’y a pas d’accord et ne pas se dire je ne veux même pas en parler. S’il n’y a pas d’accord, je suis foutu. On l’entend souvent, non. Qu’est-ce que ce je fais ? Je suis toujours moi parce que j’ai autre chose dans ma vie que ce moment de relation, même s’il s’agit d’un patron, qu’est-ce que je suis capable de solliciter ? Mais ça, ça doit venir avant la négociation. Toute cette phase de préparation est cruciale pour que, psychologiquement, vous puissiez vous préparer à entrer en relation avec l’autre en vous disant : même s’il n’y a pas d’accord, il n’y a pas mort d’homme.

Ça c’est un point fondamental dans notre travail, le fait que l’on ne doit pas être dépendant des conséquences de la négociation. Ça ne doit pas être important pour nous. Plus c’est important, moins on est bon dans la négociation. Il faut avoir ce recul et il faut être en capacité pour monter au balcon si je reprends une expression d’Uri dans Getting to Yes. On peut être extrêmement motivé à avoir un accord mais ça ne doit pas être important pour nous sinon on est prêt à tout pour accepter l’accord. Je voudrais revenir sur un sujet que tu as abordé et qui pour moi est au moins aussi important que les tips. De ce que j’ai compris, c’est que c’est notre éducation aussi qui nous fait rentrer dans ces stéréotypes qui ont la vie dure et qui, que l’on soit un homme ou une femme, vont nous limiter dans la négociation. J’ai l’impression qu’il peut y avoir une prise de conscience chez les adultes, chez les hommes, parce que les femmes, vous êtes déjà assez alertes sur le sujet, à partir du moment où ils sont pères et à partir du moment où ils sont pères d’une fille. Là, ils se disent : la place d’une fille ou d’une femme dans la société n’est pas forcément celle que j’avais en tête. Est-ce que tu aurais un ou deux tips pour des jeunes parents qui ont une future génération de négociateurs, négociatrices entre les mains, pour les aider à être des meilleures versions d’elles-mêmes, en tous cas de trouver la paix intérieure pour bien négocier ?

Ce que tu dis est très vrai. Ce qui est assez bluffant par rapport à cette relation père-fille, c’est qu’en fait les hommes n’attendent pas du tout la même chose de leur fille que de leur femme bien sûr, mais dans le traitement, ils ne souhaiteraient pas, la plupart du temps, que le concubin ou le significant other de leur fille puisse la traiter de la même manière que ce qu’eux-mêmes ont pu développer pour leur significant other. C’est assez étrange de voir qu’un homme ne va pas vouloir reproduire le schéma que lui développe vis-à-vis de sa femme pour sa fille. Là, on a un grand moment de solitude parce que quand on commence à y réfléchir, c’est vrai. D’un point de vue féminin, c’est quelque chose qui est assez agressif.

Parce que tu es en plein transfert avec ta fille ? Quand tu es un homme je pense, tu n’as pas de lucidité sur ta relation …

Un transfert mais un transfert de puissance. C’est-à-dire que si le garçon qui va fréquenter ta fille ose traiter ta fille comme toi tu pourrais traiter ta femme, tu serais prêt à pouvoir lui casser la figure. En tous cas, il y a des choses comme ça qui font qu’un homme va pouvoir se réveiller lorsqu’il va avoir une fille. A partir de là, la recommandation c’est quoi ? La recommandation c’est de pouvoir traiter la femme, dans un foyer, le mieux possible et quand je dis le mieux possible, ça ne veut pas forcément dire qu’elle ne fasse rien mais que très tôt, le petit enfant, le petit garçon ou la petite fille, puisse voir qu’il y a une répartition des tâches ménagères, qu’il y a une répartition au niveau des tâches de la cuisine, qu’il y a une répartition au niveau travail, ce n’est pas maman qui reste à la maison, que les deux nous gardent ou les deux travaillent. Très bizarrement, c’est l‘exemple du couple qui va immédiatement donner des repères très clairs à l’enfant et ce ne sont pas forcément uniquement les jouets ou les couleurs que l’on va proposer à l’enfant dès le début. Pourquoi ? Parce que peu importe les couleurs que vous allez proposer dès le début, vous pouvez proposer du rose aux petits garçons et du bleu aux petites filles, vous allez voir très rapidement que de la crèche jusqu’à la grande section de maternelle, jusqu’au CP, ils vont se faire charrier. Pourquoi ? Les codes à l’école sont très peu non genrés. Il va falloir attendre le collège ou le lycée pour se poser des questions de savoir si les toilettes doivent être mixtes, parce qu’on est en pleine adolescence donc on est en plein dans la volonté de casser quelque chose qui aurait été donné avant, même si les parents ont essayé de donner quelque chose avant Donc il y a aussi tout un jeu d’hypocrisie entre ce que la société dit qu’elle veut préparer, à savoir des désilotages je dirais des genres, et au contraire, ce qu’ils vivent à l’école. Ça reste encore très genré. Les jouets que l’on va proposer aux enfants dès la crèche vont aussi très genrés, petites poupées pour les filles et petits camions de pompiers pour les garçons.

Et c’est quelque chose qu’il faudrait éviter ?

Alors il faudrait éviter… On ne peut absolument pas forcer les puéricultrices à pouvoir leur donner des choses.

Non, bien sûr. Mais toi, en tant que parent, tu peux limiter ?

A la maison, ce qu’on peut faire, c’est essayer d’avoir des couleurs comme le jaune, des couleurs qui vont pouvoir être proposées du côté petit garçon et du côté petite fille, proposer là aussi d’avoir des poupées de chaque côté, avoir des jeux de guerre avec des super-héros, super-héroïnes et puis aussi les préparer à la société. C’est ça qui est terrible, c’est-à-dire que votre enfant ne doit pas souffrir vos envies d’indépendance et de volonté de non genrer. Si l’enfant, encore une fois, porte du rose, vous allez voir comment il va subir ce qu’on appelle le bullying, le harcèlement à l’école et ça, il ne vous le dira pas et ce sera quelque chose d’absolument destructeur. A partir d’un certain moment, je pense à partir de l’âge de 6-7 ans, on peut commencer à leur expliquer qu’ils peuvent choisir toutes sortes de sports, proposer aux petites filles d’avoir des jeux stratégiques, que ce soient les échecs…

Ou en compétition avec d’autres si elles prennent du plaisir

Exactement. Si elles prennent du plaisir bien entendu

En fait ce que tu dis c’est respecter l’enfant davantage par rapport à l’individu qu’il est que par rapport à son genre, ne pas l’enfermer dans une case. Si j’ai un garçon qui veut jouer avec une poussette, le laisser jouer avec une poussette, si j’ai une fille qui veut faire de la compétition ou un sport de bagarre, du judo, quand elle est jeune, ne surtout pas limiter les enfants là-dessus du moment qu’on les traite avec amour, bienveillance et le respect des autres dans son cercle familial, c’est ça ?

Oui, moi je suis quand même pour tout ce qui va être jeux et initiation à des sports de combat, pour tout le monde. Je pense que ça peut être très bien pour les petits garçons, les petites filles. Je pense qu’en négociation du coup on pourra avoir les mêmes repères et la même bienveillance puisqu’en face, on saura que la petite fille n’est pas seulement là pour être jolie et se taire, donc je pense que des choses vont être plus faciles à comprendre et puis, quelque chose qui est assez important aussi du point de vue parents : battez-vous contre les profs, les institutrices et les instituteurs. Quand je dis battez-vous, bien sûr il ne faut pas monter au créneau dès que l’enfant a une mauvaise note, mais regardez bien les commentaires qui sont faits. Si les commentaires sont uniquement – ça a été mon cas et c’est pour ça que je peux me permettre de vous en parler – pour descendre l’enfant parce qu’il n’arrive pas à faire des lignes horizontales ou parce qu’il a été absent, n’hésitez pas à prendre rendez-vous avec l’instituteur pour lui demander de rajouter quelque chose : je lui souhaite bonne chance, c’est un enfant très calme, etc. Il faut absolument, ce qu’on appelle la pédagogie positive, qu’il y ait quelque chose qui va permettre à l’enfant, qu’il soit garçon ou fille, d’avoir un rapport d’amour propre dès le début parce que c’est de ça dont on parle. Il faut permettre à ce petit être humain de ne pas être dans une volonté, on le voit très tôt, de se punir parce qu’il n’a pas réussi à faire quelque chose et ça, je le vois. Aujourd’hui, on parle de yoga à l’école, c’est très bien mais il faut vraiment pouvoir leur permettre, psychologiquement parlant, d’être fier et de stimuler des choses qui sont positives en eux et pas tout de suite la baffe de la mauvaise note si jamais quelque chose n’est pas fait parfaitement, au contraire se battre contre le perfectionnisme dès le début.

C’est vraiment génial. Alors on va rester sur cette idée forte. Avant de développer sa confiance en soi qui est sa capacité à agir dans la négociation, que l’on soit un homme ou une femme, ce que tu nous dis c’est qu’il faut déjà travailler son estime de soi. Il y a plein d’études qui ont été faites, je pense à l’effet Pygmalion ou à l’effet Golem qui est son inverse, c’est-à-dire que si on va chercher le meilleur pour son enfant, on crée les conditions pour qu’il le devienne in fine. Au final, si on dit à notre enfant que jamais il ne réussira, c’est l’effet Golem qui est l’inverse – c’est une étude qui a été faite dans les années 90 je crois, à San Francisco – il va prendre cette croyance comme une réalité et il mettra tout en place pour être dans des processus d’auto-sabotage et ne pas y arriver. Donc c’est vraiment génial ce que tu dis, c’est faire en sorte, dans notre éducation à nos enfants – les Américains sont meilleurs que nous je trouve en Europe, ou chez les Français – de leur donner confiance, courage en eux et une bonne estime de soi, que l’on soit un homme ou une femme, et ça permet d’avoir un schéma mental plus sain dans son rapport à soi puis après à l’autre dans son développement personnel. C’est vraiment passionnant.

Et puis enlever le côté c’est faux, en disant « presque ». Ça, c’est quelque chose de très important dans les témoignages et les retours. Ne pas dire : « c’est faux, tu as tort » mais dire : « allez, tu y es presque, c’est presque ça. 2 et 2, ça ne fait pas 5, c’est presque ». C’est vraiment cette idée de l’accompagner pour lui montrer bien sûr plus tard que l’échec est nécessaire pour que, pour les petites filles comme je l’expliquais, il n’y ait plus de peur de dire non en ayant peur de l’échec, en ayant peur de faire peur en disant : objectivement je ne peux pas aller là parce que ça ne va pas t’aider non plus, objectivement je ne serai pas performante en allant là et en ne s’excusant pas.

C’est voir le verre à moitié plein et pas à moitié vide. Ça, c’est vraiment important je pense dans l’éducation et même dans le management, c’est toujours voir ce qui a été fait et puis après, dans un deuxième temps, faire un point d’effort sur ce que l’on pourrait faire. Vraiment ultra passionnant cet échange Guila, très concret. Dernière petite question que j’ai l’habitude de poser : est-ce que la Guila d’aujourd’hui, si elle rencontrait la Guila quand elle avait 20 ans, quel est le conseil que tu lui donnerais ?  

Je lui donnerais comme conseil d’oser dire non, de se battre contre tous les paternalistes qu’elle a pu rencontrer et puis de pouvoir rêver encore plus loin parce que sky is the limit.

Et oser dire non, c’est se dire oui à soi.

 Se dire oui à soi, exactement.

Et nous, dans le processus de négociation, on a aucune peur à dire non et à aller chercher le non. Et quand on est à l’aise avec ça, le non au moins est très clair alors que le oui en négociation, au départ, peut être un peu confusant : oui j’entends, oui je comprends, oui je suis d’accord, oui je vais le faire. Le non est beaucoup plus simple et pour tous ceux qui ont des enfants, c’est ce qu’ils nous disent à longueur de journée : non, non, non, parce qu’en fait, le non protège d’une certaine façon. C’était vraiment passionnant. Un immense merci à toi pour ces propos qui étaient vraiment plein de sens.

Un grand plaisir. Une dernière référence comme ça vous pourrez en savoir un peu plus sur le fameux professeur de bonheur : L’apprentissage de l’imperfection que je vous recommande vivement de lire, que vous soyez homme ou que vous soyez femme, bien sûr dans le rapport à la négociation au niveau féminin, c’est quelque chose qui est important. L’apprentissage de l’imperfection de Tal Ben-Shahar qui reste son best-seller, en particulier en France. Une petite lecture peut-être pour les mois à venir…

On mettra le lien. Un très grand merci à toi Guila pour ces partages.

Merci à toi.

Merci beaucoup et je vous dis, à vous, à dans deux semaines pour un nouveau podcast de Pourparler, le podcast de la négociation. Merci !

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