Comment Négocier son propre licenciement – Thierry Krief

 

Bonjour à tous, je m’appelle Julien Pelabere et je suis négociateur professionnel. Mon métier est de former, d’accompagner et d’assister des entreprises et organisations à la conduite de leurs négociations les plus sensibles. Bienvenue dans Pourparler, le podcast de la négociation. Notre ambition est simple : vous donner des clés de compréhension pour mieux négocier, mieux négocier pour un meilleur futur professionnel ou personnel. Aujourd’hui, j’ai la chance d’accueillir Thierry Krief. Bonjour Thierry, comment vas-tu ? 

Bonjour Julien, très bien, je te remercie. Je suis ravi d’être là.

Je suis vraiment ravi parce qu’on va parler d’un concept qui est vraiment propre à ton travail et qui va être extrêmement intéressant, je ne le connais pas en plus, mais avant de rentrer dans le cœur du sujet, est-ce que tu peux te présenter pour les gens qui ne te connaissent pas s’il te plait ?

Thierry Krief, je suis fondateur d’une société qui s’appelle NegoAndCo que j’ai créée il y a maintenant 17 ans et mon métier, c’est de lisser les relations entre les entreprises et les salariés afin qu’une entreprise puisse se réorganiser comme elle le souhaite et qu’un salarié puisse rebondir au mieux et passer à autre chose. Ça, c’est le cœur de mon métier. Je suis également négociateur professionnel, mais spécialisé sur les relations entre les salariés et les employeurs.

Génial, ça va être vraiment intéressant parce que ça va être le cœur du sujet. L’angle que l’on a décidé de choisir aujourd’hui, c’est le cas d’un salarié qui souhaite partir de l’entreprise. Alors, ce qui est intéressant, c’est qu’il a plusieurs solutions. Elles ont toutes des avantages et des inconvénients. Avant d’arriver sur ce que tu préconises, les 2 premières qui sont les plus courantes sont que le salarié puisse démissionner ou aller demander une rupture conventionnelle, est-ce qu’on peut déjà expliquer ces concepts pour, après, entrer dans le cœur du sujet et ce que toi tu proposes. Est-ce que tu peux déjà nous parler de la démission : quels sont les avantages pour un salarié de démissionner et quels sont les inconvénients dans le cas de la démission ?

Bien sûr. En fait, si on prend le sujet au niveau le plus large, il y a schématiquement deux modalités de rupture d’un contrat de travail. Soit la démission, donc à l’initiative du salarié, lorsqu’un salarié démissionne, il a l’initiative de la gestion de sa carrière, c’est lui qui prend l’initiative de démissionner. L’inconvénient, c’est qu’il part avec rien et lorsqu’il va rejoindre une nouvelle entreprise, ça peut très bien se passer, mais ça peut moins bien se passer. A l’opposé de la démission, il y a le licenciement, c’est-à-dire que le salarié subit la décision de l’entreprise, généralement, il part avec des indemnités mais la problématique, c’est qu’il ne maitrise pas le timing, donc il ne maitrise pas sa carrière et il a les indemnités mais se retrouve seul face à lui-même en se disant : oui mais je n’ai pas de travail. On est sur ces deux schémas classiques de séparation.

Il y en a un où je maitrise mon temps et l’autre où je le subis. Dans le cadre de la démission, le gros avantage si je comprends bien, c’est qu’on n’est pas dépendant de cette temporalité, je prends le lead et si vraiment j’ai des impératifs parce que je veux rejoindre une entreprise rapidement, pour le coup, c’est assez efficace pour moi. L’inconvénient, c’est que ça génère de l’incertitude si ça ne se passe pas très bien dans l’autre entreprise.

Voilà, c’est ça. Ça génère de l’incertitude. A noter que même si tu as un job dans une autre entreprise, globalement, tu as trois mois de préavis et il faut intégrer qu’aujourd’hui, on a les capacités de faire des négociations de séparation sur une durée de trois mois. La démission, on la déconseille et on la déconseille fortement, parce que pour nous, c’est une erreur de gestion de carrière. Il est toujours possible de trouver une solution avec une entreprise lorsqu’on la quitte.

Donc si démissionner n’est pas la meilleure solution et si se faire licencier, c’est-à-dire laisser le lead à son employeur n’est pas non plus la meilleure décision, et puis je pense que ça impacte une carrière en termes de réputation aussi, qu’est-ce que tu préconises Thierry ? 

En fait, la problématique est la suivante : sur un plan macro, les entreprises ont besoin de se réorganiser, c’est la vie. Les entreprises sont face à la concurrence, une entreprise doit se restructurer, c’est la vie. Une entreprise doit vivre, une entreprise a un pouls. Parfois, elle a besoin de plus de personnel, parfois, de moins de personnel, et jusqu’il y a peu de temps, voire encore dans l’état d’esprit des gens, face à ça, il y avait les salariés qui souvent subissaient et souvent entraient dans les problématiques de contentieux juridiques, qui sont très longs, très coûteux, très dommageables pour l’image de marque et surtout qui ne servent à rien en termes de rebond professionnel. J’ai créé NegoAndCo il y a 17 ans et je me suis aperçu d’un savoir-faire, c’est qu’il est toujours possible d’amener l’entreprise à la négociation, mais il ne faut pas confondre négociation et marchandage. La négociation, déjà, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que j’ai une capacité d’influence pour que l’entreprise accepte le dialogue et le dialogue d’une séparation. Après, il y a une négociation purement financière que je caractérise plutôt de marchandage, c’est-à-dire qu’on parle d’argent, mais la vraie négociation, ce n’est pas ça. La vraie négociation, c’est le travail que l’on a fait en amont. Et donc pour revenir à ta question, j’ai créé un concept qui s’appelle la démission conventionnelle, où en fait le salarié prend l’initiative du départ, mais amène l’entreprise à prendre l’initiative de la séparation, et ce concept c’est un peu la solution parfaite, c’est-à-dire que le salarié gère sa carrière parce qu’il prend l’initiative et finalement quitte l’entreprise avec des indemnités, et l’entreprise est très contente parce qu’elle a eu un intérêt à se séparer du salarié de la sorte. C’est ça le concept que j’ai créé il y a 17 ans et que maintenant j’ai pu formaliser.

C’est vraiment intéressant parce qu’en plus tu reviens sur cette notion de négociation, où le but de la négociation est d’amener quelqu’un qui peut vous dire non à vous dire oui et de faire en sorte que la qualité de la relation soit au moins aussi bonne. Si je comprends ce que tu me dis, dans ton concept de démission conventionnelle, je ne pars pas avec cette image où je claque la porte, je ne pars pas avec ce bras de fer, avec une mauvaise publicité ou un procès, c’est bien ça ?

C’est exactement ça. C’est déterminant. En fait, quand on prend du recul sur l’entreprise, une entreprise est faite de femmes et d’hommes qui veulent quoi ? Ils veulent développer leur entreprise, avoir une promotion, gagner plus d’argent et ne pas avoir de problèmes. La question, c’est comment faire pour qu’ils arrivent à résoudre la problématique d’un salarié sans que ça leur pose de problèmes et dans l’intérêt de l’entreprise ? Donc c’est exactement ça, la vraie négociation, que nous, on appelle la négociation d’influence, c’est : bien comprendre les individus, bien comprendre pourquoi ils diraient oui, bien comprendre leur intérêt à agir et tout ça se passe de façon totalement lisse, dans l’intérêt bien compris, sans procès, sans agression, sans menace, sans claquer la porte, parce que l’image et la réputation d’un cadre est quelque chose que la personne aura à gérer toute sa vie. Il faut savoir se séparer proprement. Proprement ne veut pas dire se laisser faire, c’est vraiment une main de fer dans un gant de velours, c’est-à-dire que la forme est extrêmement lisse, extrêmement policée et le fond, forcément, c’est de la négo.

Une expression de Margaret Thatcher, bonne négociatrice, en tous cas très ferme ! C’est vraiment intéressant parce qu’en plus tu reviens sur des concepts de négo, de marchandage, qui est effectivement une discussion sur un critère, on va par exemple se mettre d’accord sur un prix alors qu’une négociation est beaucoup plus large. Si je prends le lead à ce moment-là sur cette démission conventionnelle, c’est moi qui vais mettre en place les éléments pour créer la condition la plus favorable ? Dis-moi ce que tu en penses, parce que le but de la négociation n’est pas forcément d’obtenir ce que je veux puisque ce que je veux repose sur des hypothèses de travail, mais je ne sais pas forcément ce que l’autre peut me donner. Il peut peut-être me donner beaucoup plus que ce que je veux, peut-être beaucoup moins que ce que je veux, en fait, le but de la négo, pour moi, c’est d’obtenir le plus possible d’une situation en maintenant la relation avec quelqu’un qui peut me dire non. Comment est-ce que tu le travailles dans ça ? Comment est-ce que tu le prends en compte ?

 On voit le bon négociateur. Déjà, effectivement, c’est intéressant qu’on discute entre nous dans ce podcast, beaucoup de gens font une erreur. Déjà, l’objectif de la négociation n’est pas d’obtenir ce que je veux, c’est-à-dire qu’on peut très bien faire une mauvaise négociation avec des sommes extrêmement élevées ou une très bonne négociation avec des sommes extrêmement faibles. L’objectif de la négociation est d’obtenir le maximum de ce que l’interlocuteur peut me donner. Une entreprise qui n’a pas d’argent, elle n’a pas d’argent. Une entreprise qui a beaucoup d’argent, elle a beaucoup d’argent. Mécaniquement, avec les mêmes leviers, on n’obtiendra pas la même chose, donc il ne faut pas dire : je veux ça, c’est une absurdité. Maintenant, comment faire ? La problématique principale, c’est de comprendre l’intérêt à agir de la personne qui a la capacité de décider. Pourquoi la personne me dirait oui ? Pourquoi est-ce qu’elle aurait intérêt, alors que c’est moi qui en prends l’initiative, à me dire : effectivement Thierry, je pense que la meilleure solution pour l’entreprise, c’est qu’on trouve une solution de séparation et on va discuter des conditions de la séparation. Tout le cœur de la stratégie que l’on bâtit au sein de NegoAndCo, c’est ça. C’est comprendre les individus dans leur psychologie, comprendre ce qu’on appelle la sociologie des organisations, c’est-à-dire quels sont les processus de décision dans une entreprise particulière ? Quelle est la culture de l’entreprise ? Est-ce qu’il faut aller sur de l’oral ? Est-ce qu’il faut aller sur de l’écrit ? Qui a la capacité d’influencer la négociation ? Il y a des acteurs directs, mais il y a aussi des influenceurs. Qui décide de la négociation ? Etc. Une fois que j’ai fait ce schéma global où j’ai identifié les acteurs, j’ai intégré la culture de l’entreprise, j’ai intégré la psychologie des individus, la sociologie de l’organisation, alors j’ai une sorte de schéma général.

Tu fais un mapping des différents intervenants si je comprends bien, de ton écosystème, avec une forme de théorie des alliés : ceux qui pourraient être pour, ceux qui pourraient être contre, ceux qui sont neutres et ceux qui sont contre, j’imagine que tu les mets de côté et que ceux qui sont neutres, j’essaye de faire basculer en pour.  

C’est vraiment ça et je rajoute juste en plus, qu’une fois que je vois le pour et le contre, après, j’ai un vrai jeu d’influence : comment je vais faire en sorte que le contre ne me gêne pas ? Comment je vais faire en sorte que le pour a un intérêt personnel à gérer ma situation ? Je dis bien personnel, parce que même si on est dans le monde professionnel, c’est d’abord et avant tout les enjeux personnels qui sont en jeu. Donc quand j’ai décodé ça, quand j’ai décrypté ça, d’où l’intérêt des sciences sociales pour la négociation, la psychologie, l’analyse transactionnelle de la PNL, alors j’ai la capacité d’influence et alors je réussis ma négociation. Encore une fois, le premier objectif est d’amener mon interlocuteur au dialogue et si possible d’arriver en position de force.

C’est quoi une position de force pour toi Thierry ?

Alors, en fait, déjà, ça se détermine en identifiant des leviers. C’est-à-dire que quand je suis face à une situation de négociation, j’essaye de voir les leviers.  Les leviers, si je reprends ce que je disais à l’instant, ils peuvent être de beaucoup de natures. Ça peut être des leviers psychologiques, par exemple la personne avec laquelle je discute est en train de briguer un nouveau poste, si je sais ça, je sais qu’elle ne voudra pas de vague, donc j’ai un levier. Ça peut être des leviers éthiques, par exemple, il y a des entreprises qui font très attention au respect des individus etc. et il suffit je considère que mon responsable hiérarchique ou la personne avec laquelle je discute ne fait pas attention à moi pour avoir des leviers, donc il y a aussi des leviers juridiques, par exemple, on pousse une personne à aller vers un poste mais fondamentalement, elle n’a pas accepté etc. Donc j’identifie des leviers. Une fois que j’ai tous ces leviers, je les mets en musique dans un discours. Après, par rapport au discours, je vais avoir cette capacité à influencer la personne et mon objectif c’est qu’avec ces leviers et ce discours, lorsque j’arrive au terrain de la négociation, la personne en face dise : oui, j’ai intérêt à trouver une solution avec lui ou avec elle et oui, il représente un risque pour moi. Et quand j’arrive à ça, alors je suis favorable et donc je suis en position, je dirais de force ou d’équilibre, parce que dans la relation salarié / employeur, le salarié n’est jamais en position de force.

Je n’ai pas de problème avec ce rapport de force, c’est quelque chose que l’on utilise au quotidien et c’est intéressant parce qu’avec des mots légèrement différents, notre plus grosse source de pouvoir dans la négociation, pour nous, c’est notre capacité à solutionner le problème de l’autre. Quand l’autre négocie, c’est pour gagner plus ou éviter de perdre, c’est la seule chose.  

Je vais juste en amont, c’est-à-dire que je lui crée un problème et je lui trouve une solution.

Tu ne le crées pas, parce qu’il est présent de ce que je comprends ? Tu le sublimes, tu le fais conscientiser les conséquences d’une situation qui pourrait devenir meilleure pour lui ou pire, et soit l’amener à gagner quelque chose, soit l’amener à éviter de perdre quelque chose, c’est ça ? Dis-moi, ça m’intéresse de comprendre.  

En fait, ça dépend comment tu prends la situation. Je peux très bien l’aider à résoudre un problème effectivement, et donc quelque part, la négociation permet de résoudre un problème, mais je vais prendre un cas où on est assez fort chez NegoAndCo, je prends un cas récent que j’ai eu, j’ai eu une star, une personne qui a des résultats exceptionnels dans une entreprise, qui me dit : Thierry, j’ai envie de changer de vie, j’ai un projet totalement différent, ma boîte m’adore.

C’est un top performeur dans l’entreprise.  

Voilà, c’est un top performeur. Ma boîte m’adore, je suis tous les ans meilleur directeur commercial, meilleurs résultats régionaux etc. Ma boîte est américaine. Il me dit : je veux changer de vie, est-ce que tu peux me permettre d’amener l’entreprise à la séparation et qu’on puisse discuter des conditions financières de la séparation. Et tu vois que dans ce cas-là, j’ai 2 niveaux d’influence. Il y a déjà ce que tu dis : je vais résoudre le problème de l’autre mais l’autre, à l’instant où le client vient me voir, il n’a pas de problème.

Oui. Toute chose égale par ailleurs.

 Toute chose égale par ailleurs. Donc je vais être obligé quelque part de créer une situation pour résoudre la problématique de mon client et où l’autre se dit : mince, je risque d’avoir un problème. Maintenant, si on regarde le problème au fond, mon client veut changer de vie. Fondamentalement, sa motivation au travail va décliner, mécaniquement, c’est humain. Est-ce qu’il vaut mieux aller vers l’entreprise et avoir un discours qui va consister à dire, je schématise : écoute, il vaut peut-être mieux qu’on se sépare à l’amiable parce que de toute façon, au fond de moi-même, si je reste en l’état, les résultats vont se dégrader parce que je n’y suis plus, ou, est-ce qu’il vaut mieux ne rien dire, que les résultats se dégradent et que pendant 15 jours, l’entreprise se dise : mais qu’est-ce qu’il se passe ? Les résultats ne sont pas là. Donc, moi, dans mes négociations, j’accompagne l’intimité des gens qui ont des projets, et j’accompagne tout ça dans le respect de l’entreprise. C’est là où tu me dis : tu solutionnes le problème, mais des fois, quelque part, je le crée dans l’intérêt aussi de l’entreprise, même si moi mon intérêt est de travailler pour mes clients.

J’aime bien, parce que dans une ancienne vie, quand j’étais en cabinet de conseil, j’avais un directeur commercial qui me disait : ce qui est le plus important dans ces métiers, dans les métiers liés à la vente où tu es challengé régulièrement, c’est de garder sa confiance en soi et que jamais personne ne puisse l’attaquer. En fait, en faisant ça, d’une certaine manière, tu fais en sorte que la personne qui est top performeur et qui va prendre l’initiative de partir, ne va pas se mettre dans une situation où il va décliner et où on va peut-être pouvoir l’attaquer personnellement ou humainement, où on va l’attaquer sur sa performance, lui repart au même niveau de confiance en lui ? 

C’est exactement ça et c’est d’autant plus sain quelque part pour l’entreprise. En fait, elle va régler par anticipation un problème qui aurait pu se poser et qui donc ne va pas se poser, parce qu’en l’occurrence, dans la sortie, la personne que j’ai accompagnée a aidé au recrutement de son remplaçant, a formé son remplaçant, il y a eu une continuité dans l’entreprise et finalement l’entreprise était très satisfaite parce qu’encore aujourd’hui, ils se voient, ils se parlent, donc tout va bien.

C’est vraiment intéressant parce que finalement, beaucoup de personnes ont l’impression que la négociation, c’est se mettre d’accord quand il y a un problème, essayer de trouver une solution, or quand tu fais de la négociation sur des contrats, les problèmes ne sont pas là, tu anticipes et là c’est exactement la même chose, tu anticipes une situation qui aurait pu se dégrader. C’est vraiment intéressant si tu peux nous faire un retour d’expérience pour que les gens comprennent aussi quel est le déroulement d’un processus comme ça. C’est aller vers une rupture conventionnelle peut-être ? Je ne sais pas. Que tu nous expliques, tout en gardant anonyme cette situation, comment ça a été vécu par ce top performeur ? Par l’entreprise ? Quelles ont été les différentes étapes ? Qu’avez-vous mis en place ? Sans peut-être dévoiler ta sauce secrète, peux-tu nous donner plus d’éléments de compréhension pour mieux se projeter ?

Bien sûr. Je vais commencer par la fin, par une anecdote. On était dans une entreprise américaine, parce que mon client était directeur général d’une boîte française. Pendant la négo, le patron Europe vient voir mon client en lui disant : écoute, je ne veux pas que tu partes, regarde la carte du monde, dis-moi où tu veux vivre et je suis d’accord. A la fin de la négo, c’est le patron monde qui a appelé mon client, c’est un Américain, il faut intégrer l’esprit américain, et qui lui dit : je ne comprends pas, j’étais prêt à te donner tout pour que tu restes et là je te paye pour que tu partes, qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que tu m’as fait ?

Il nous faut cette formule magique. Est-ce qu’il y a eu du « abracadabra » ?

Non il n’y a pas eu « abracadabra ». Il y a eu un jeu d’influence qui a fait que doucement, l’entreprise a finalement intégré le fait que mon client n’y était plus et n’y sera plus. Il avait fait ce qu’il avait à faire, ça faisait 15 ans qu’il bossait dans la boîte, il avait tout fait, il était arrivé à un niveau hiérarchique où, quelque part, il avait besoin de faire autre chose. Je ne porte pas de jugement de valeur. Je suis négociateur, je ne fais pas de politique, je ne porte pas de jugement de valeur, je mets en œuvre les projets de mes clients. Le déroulé, comment ça se passe ? On a évoqué les choses tout à l’heure, l’analyse contextuelle est déterminante. En 2016, NegoAndCo a été reconnue entreprise innovante, on a eu des financements, des crédits d’impôt recherche par le ministère de la Recherche, qui reposaient sur quoi ? En fait, on a vraiment créé quelque chose en matière de négociation sociale individuelle, c’est vraiment mon cœur de métier. Négociateur, on sait négocier à peu près tout, mais j’ai vraiment un cœur de métier, c’est la négociation sociale individuelle. En fait, il y beaucoup de gens qui font de la négociation. Les avocats disent qu’ils font de la négociation, les policiers disent qu’ils font de la négociation, les psychologues disent qu’ils font de la négociation, les sociologues font de la négociation, très bien, et tout le monde fait de la négociation, je n’ai pas de problème. La seule chose, c’est que moi, j’ai considéré que la négociation avait un degré de complexité un tout petit peu supérieur. Si tu mets toutes les techniques : le juridique, le sociologique, le psychologique, tu rajoutes l’économique, tu rajoutes l’interculturel, parce que je fais de la négociation avec des Français, mais il y a aussi des Hollandais, des Américains, des Anglais etc. et même dans les boîtes françaises, il peut y en avoir, tu ajoutes tout ça, ce sont des savoirs et entre transversal, tu as les techniques de la négociation commerciale : la gestion du temps, quand est-ce que tu relances etc. En fait, tu t’aperçois que sur chaque négociation, tu as un mapping et ce mapping ce sont des curseurs. Tu as des négociations qui sont plus psychologiques qu’autre chose et donc tu vas axer la négociation sur l’angle psychologique, tu as des négociations qui sont très juridiques, alors quand c’est trop juridique, ce n’est pas mon métier, mais il y a quand même parfois des points juridiques, tu as des négociations qui sont juste dans le comportement des gens, ce qu’on appelle la sociologie des organisations, c’est-à-dire si tu fais prendre un risque à la personne en lui faisant faire quelque chose et que la personne dit : non, pas du tout, donc ce mapping culturel, pour nous, c’est globalement 90% du succès de notre négo. Une fois qu’on a fait ça, on définit une stratégie. Au sein de NegoAndCo, dans le cadre des travaux de recherche que l’on a menés, on a identifié toutes les stratégies qui existent. Il faut savoir qu’il y en a 10, entre 5 et 10 stratégies types. Après, la vraie vie, c’est la combinaison de ces stratégies. Ensuite, c’est un plan d’action, l’accompagnement. Ce travail analytique, qui est un travail de consultant, est déterminant.

Génial. J’ai déjà plein de questions en tête, mais est-ce que tu peux, sur les 10 stratégies, nous en partager une ?

Bien sûr. Je vais essayer de partager ce qui me permettra de ne pas avoir un développement trop long. Alors, les stratégies, quand je les annonce, paraissent toujours simples. Déjà, ce qui est simple, généralement, se conçoit avec beaucoup de travail et après, il faut la dérouler. J’ai un cas de figure très simple. Par exemple, une personne a un nouveau responsable hiérarchique et il y a une stratégie qu’on appelle la non-reconnaissance du responsable hiérarchique. Ça veut dire quoi ? Quand une personne a un nouveau responsable hiérarchique, pourquoi c’est vraiment une fenêtre de tir pour la négociation de sa rupture ? C’est parce que cette personne vient d’arriver et son premier objectif, c’est de délivrer des résultats, ce n’est pas de gérer les problèmes du passé. Ensuite, il vient d’arriver, donc il a tout crédit auprès de l’entreprise. L’entreprise ne va pas lui dire : non, je ne suis pas d’accord avec tes décisions, etc. Donc tenant compte de ces deux choses, il a la capacité à résoudre le sujet de mes clients qui souhaiteraient quitter l’entreprise parce que lui, ce qu’il veut, c’est se débarrasser des problèmes du passé pour se concentrer sur le business et sur le développement. C’est légitime, il est là pour ça. Donc une des stratégies consiste – après mon métier est un métier de mots, là, je vais résumer, au niveau des mots, on est beaucoup plus fins –si je caricature en « je ne te reconnais pas comme patron ». Après, le déploiement par les mots de cette stratégie est beaucoup plus subtil, beaucoup plus fin, beaucoup plus sous-entendu, etc. Ce qui fait qu’à la fin, le patron en question va dire : écoute, je suis désolé, tu sais, on ne peut pas de garder dans l’organisation, la vie change etc. Donc j’amène la personne en face à conclure que mon client ne peut pas rester, alors qu’à l’origine, c’est mon client qui avait initié la problématique. Ça, c’est l’une des stratégies.

Juste pour revenir là-dessus, si je comprends bien, c’est qu’en plus, même ton patron ne subit pas la situation, parce que quand il arrive sur un nouveau périmètre, il subit une équipe qui est en place et c’est généralement un problème que l’on me remonte sur des managers qu’on accompagne, c’est comment j’amène de la performance dans une équipe que je n’ai pas choisie, et donc là, tu lui redonnes du libre arbitre pour constituer une forme de dream team pour lui ?

C’est exactement ça et je vais même aller plus loin. Dans des missions que l’on appelle de prise de poste, il peut paraitre utile pour une personne qui prend un poste, surtout à haut niveau, de se séparer de certaines personnes, notamment ce qu’on appelle des Barry par exemple, déjà pour constituer son équipe à lui ou à elle, mais également pour montrer qu’il a l’autorité sur l’équipe. Donc nous, dans nos démarches, dans l’accompagnement de nos clients, on va sur ce terrain aussi, ce qui fait que ce responsable hiérarchique qui se sépare de mon client, finalement, il est très content. C’est pour ça que la méthodologie que l’on a développée est une méthodologie qui lisse les relations, qui fluidifie les relations, parce que le cadre peut rebondir sereinement et l’entreprise, finalement, peut se développer sereinement. Mon métier, il est là. Je suis vraiment à la recherche d’équilibre pour que les gens dialoguent et discutent.

Top, c’est vraiment intéressant. Tu allais aborder un deuxième point ou une deuxième stratégie avant que je te coupe.  

Oui, j’allais prendre une autre stratégie ou un deuxième point de stratégie qui est assez utile pour nos auditeurs, on appelle ça la stratégie d’intrapolation.

Qu’est-ce que c’est ? 

La problématique, c’est lorsqu’on essaye de faire une négociation de séparation amiable, lorsqu’on la provoque, l’entreprise a souvent tendance à dire : écoute, attend, ça va se résoudre, essaye de chercher un autre job dans l’entreprise, tu sais, l’entreprise est grande etc. Si on suit ce chemin qui est légitime de la part de l’entreprise et au contraire, qui est plutôt bienveillant, le processus pour arriver à la table de la négociation peut être très long voire peut générer de la part du salarié, un écœurement, un épuisement, il va quitter tout seul, il va démissionner. Ce sont des contre-stratégies de l’entreprise de laisser trainer, de laisser courir les choses pour que finalement la personne dise : c’est trop compliqué, je n’y arrive pas, je démissionne et tout à l’heure, tu parlais de demander une rupture conventionnelle et du coup, quelle est l’erreur fatale que font les clients dans ces situations-là ? C’est de demander une rupture conventionnelle, parce que demander une rupture conventionnelle, c’est-à-dire : chef, si je pars, est-ce que tu me donnes de l’argent ?

Tu n’as qu’à partir tout seul…

Voilà. Moi, je n’ai jamais connu une personne qui dit : oui, bien sûr, si tu pars, je te donne de l’argent, et je récupère beaucoup de gens au cabinet qui disent : j’ai demandé une rupture conventionnelle, ils n’ont pas voulu. Je ne peux rien faire pour vous. Si au poker vous me dites : j’ai un carré d’as, je ne vais pas miser.

Effectivement, c’est ce qu’on appelle l’incertitude. Plus j’ai d’incertitude dans mon processus de négociation, plus l’autre, pour diminuer cette incertitude, va se plier à mes desiderata, sauf que si je lui donne toutes mes cartes, il n’y a pas plus d’incertitude et d’une certaine manière, c’est lui qui a le degré de liberté si je comprends ce que tu dis.

C’est lui qui a le degré de liberté et surtout, mécaniquement, si moi je suis côté entreprise et que je défends les intérêts de l’entreprise, qu’est-ce que j’en conclue qu’il me demande une rupture conventionnelle ? C’est que, un, il ou elle va partir. Deux, j’ai qu’à attendre, ça va se résoudre tout seul. Trois, je ne peux plus compter sur lui ou sur elle et je ne peux plus avoir confiance. Donc moi, chef d’entreprise, chef de département ou responsable d’équipe, peu importe, je vais me réorganiser et qu’est-ce que ça va avoir comme incidence ? C’est que la personne qui est venue me demander une rupture conventionnelle va se sentir marginalisée, écartée, mais c’est cette personne qui a provoqué la situation, ce n’est pas l’entreprise qui a provoqué la situation.

Et en plus, si j’entends ce que tu dis, face au refus du manager, on pourrait avoir des gens qui maladroitement diraient : si c’est comme ça, j’arrête de performer, j’arrête de travailler et là, on va s’attaquer à la qualité de la relation ?

On s’attaque à la qualité de la relation, on s’attaque à la réputation, en l’occurrence du salarié. Encore une fois, c’est toujours le salarié qui a le plus à perdre, il ne faut pas l’oublier. On s’attaque au fait que ça va judiciariser voire créer un conflit, mais là, un vrai conflit, pas un « faux conflit » pour amener à la négo, et où est-ce que ça finit souvent ?

Aux Prudhommes ? 

Voilà. Un prudhomme, c’est entre 2 et 5 ans, des cheveux blancs, beaucoup d’argent dépensé et des avec résultats incertains.

Pour ceux qui ne connaissent pas les Prudhommes, c’est une procédure étatique de résolution de conflit qui est relativement longue. Même si elle peut être favorable aux salariés, ça commence par une phase de conciliation qui n’en a que le nom je pense pour l’avoir vue plusieurs fois, on ne s’assoit même pas autour d’une table, c’est : est-ce que vous êtes d’accord ? Non, parce que j’ai attaqué mon employeur en procès. Et vous, est-ce que vous êtes d’accord ? Non. Après, tu as une date. Donc oui, c’est relativement long. En plus, je crois qu’aujourd’hui, tu es beaucoup plus au fait que moi, la légalisation fait que la somme d’argent qui peut être versée à l’employé est capée, il y a un maximum qui est inscrit et il y a beaucoup d’incertitude. Or, là, ce que tu proposes est complètement différent, ça passe par cette case de rupture conventionnelle. Est-ce que tu peux nous expliquer un petit peu comment se déroule une rupture conventionnelle quand elle est proposée par l’employé ? Quels sont les pièges dans lesquels il ne faut pas tomber ?  

Déjà, Julien, je vais ajuster ce que tu viens de dire, par définition, l’employé ne la demande pas.

Par l’employeur, pardon. Je voulais dire employeur.

 Je vais quand même faire une petite précision. Il ne faut pas confondre la fin et les moyens. On parle de rupture conventionnelle ou symétriquement de licenciement plus transaction. Ce sont des moyens de rupture de contrat, ce ne sont pas des outils de négociation, parce que si je prends un processus de négociation tel que je le pratique, il y a trois étapes. 70%, c’est la négociation d’influence, ce qu’on a vu tout à l’heure : comment je vais amener l’entreprise au dialogue pour qu’elle puisse considérer qu’il est intéressant pour elle d’entrer dans une séparation amiable. Étape 2, la négociation financière : je vais m’entendre sur de l’argent, des mesures d’accompagnement, un délai de préavis, etc. Étape 3 : la formalisation, voire la négociation juridique qui représente dans mon process, 5 à 10% et qui, par les dernières réformes du Président Macron et du Gouvernement précédent, a été simplifiée à l’extrême. Avant, tout était juridique, aujourd’hui, c’est simplifié à l’extrême. Donc le process de rupture, que ce soit une rupture conventionnelle ou un licenciement plus transaction, est un process de formalisation de finalité d’une négociation. A l’origine, on ne demande pas une rupture conventionnelle, on va vers une séparation amiable. Après, elle est matérialisée en rupture conventionnelle. Je dis ça parce qu’il y a énormément d’erreurs, énormément d’abus de langage et notamment beaucoup de juristes parlent de rupture conventionnelle comme voulant dire que l’on va négocier. Non, c’est un outil de rupture, ce n’est pas un outil de négociation.

Excuse-moi deux secondes de faire une pause, nous, on dit qu’il faut se mettre d’accord sur l’EFP, c’est l’État Final Partagé, c’est le pourquoi de la négociation, et une fois qu’on s’est mis d’accord sur le pourquoi, c’est-à-dire sur le fait de se séparer, on va se mettre d’accord sur comment on y va, les différentes options qui sont à notre disposition à la table de la négociation et, après, on va rentrer sur des critères qui peuvent être plus liés à la notion marchandage de sommes, mais ça veut dire que j’ai différentes options et que ce n’est pas une finalité en soi d’aller chercher la rupture conventionnelle parce que tu proposes aussi la démission plus transaction, mais on ne peut arriver là-dessus si on ne s’est pas mis d’accord sur pourquoi est-ce qu’on y a va.

 Mais pourquoi je parle de ça ? C’est que souvent, dans les discussions sur les séparations amiables, déjà, les gens disent directement : je veux. Attends, mais tu n’as rien influencé. Déjà, tu influences la personne. Ou elles disent directement : je veux une rupture conventionnelle. Attends, mais tu es en train de parler des modalités de rupture de contrat, on s’en moque. Donc je reviens sur ta question ayant fait cette précision, la rupture conventionnelle, c’est extrêmement simple. C’est un document CERFA où on dit : voilà, on est d’accord, on s’est vu, on se sépare à telle date, à tel montant. C’est pour ça que les séparations amiables aujourd’hui n’ont plus du tout, dans ce contexte-là, de caractère juridique. Il n’y a plus de motif, il n’y a plus rien. On a discuté, on est d’accord, on se sépare, c’est fini. Très bien. C’est extrêmement simple. Aujourd’hui, avec toutes les réformes qui ont eu lieu – le Gouvernement Macron et même le Président actuel lorsqu’il était ministre des Finances avec une prédécesseuse qui était ministre de l’Emploi – la part de la négociation, c’est 90%, et la part du juridique, c’est 10%. Alors que moi, quand j’ai commencé mon métier à 17 ans, la part du juridique, c’était 70% et la part de la négociation, c’était 30%. Aujourd’hui, dans les séparations amiables, il y a une fluidification du marché. Tout à l’heure, tu parlais des Prudhommes, l’accès aux Prudhommes est devenu beaucoup plus compliqué qu’il ne l’était il y a 5 ans, c’est bien parce que la France devient un pays du dialogue et comme disait un Président : « il faut sortir de la logique du contentieux et aller vers une logique de dialogue », la France, doucement, devient un pays du dialogue.

C’est très intéressant. Alors, j’ai une question qui me vient en tête. Mon retour d’expérience sur ce métier, sur les entreprises qu’on accompagne, c’est que soit on les forme à la négociation, soit on les voit performer, mais on ne les voit pas trop sur l’entre-deux comme des sportifs de haut-niveau qui est de dire : on va s’entrainer. J’imagine que dans le cadre de cette démarche, je suis salarié, je vais voir mon patron, je veux créer les conditions, je ne suis pas à l’abri de vivre des émotions assez importantes qui vont peut-être être challengeantes, parce que mon patron peut me mettre en porte-à-faux, ça peut s’envenimer ou pas ! Je n’en ai aucune idée. Est-ce que c’est intéressant de faire ça tout seul ? De s’entrainer ? De se faire accompagner ? Comment est-ce que tu vois les choses sur ce processus que l’on peut mettre en place, parce que, tu le sais aussi bien que moi, tout le monde n’est pas à l’aise sur cette partie de la négociation et il y a beaucoup de gens qui, pour ne pas dire non, alors qu’ils auraient tout à y gagner, vont dire oui à tout, quitte à se mettre dans des situations inconfortables ? Comment sortir de cette zone de confort ? Comment s’entrainer ? Comment se préparer à cet échange que l’on pourrait avoir avec son patron et créer les conditions du changement ?

 En l’espèce, dans mon métier, il faut intégrer une variable : on négocie pour soi, avec de forts enjeux sur sa carrière et sa vie personnelle. J’ai beaucoup de gens, qui ont des fonctions commerciales ou des fonctions de direction générale, donc des gens qui sont des cadors en négociation, qui viennent me voir en me disant : écoute Thierry, je sais négocier, je sais vendre des produits, je sais vendre des contrats, mais là, il s’agit de moi et de ma vie et j’ai besoin que tu m’aides à éclairer mes choix et quelque part, à contrôler mes émotions pour faire une bonne négociation. La formation en négociation est toujours indispensable, mais je vais dire qu’elle indispensable à la vie et pas seulement indispensable aux problèmes entre un salarié et son employeur. Je pense que plus les gens seront formés à la négociation, plus la vie sera douce, plus la vie sera facile entre les gens et plus les gens auront compris que, finalement, avec le dialogue, on peut arriver à tout, sans conflit, et c’est beaucoup mieux pour tout le monde. Ça, c’est le premier point. Donc bien sûr, je recommande la formation à la négociation.

Sans conflit violent, après ça dépend toujours de la définition que l’on donne au conflit…

 Sans conflit violent et de façon générale. A la limite, qu’il y ait un conflit parce qu’on a considéré que la négociation n’avait pas abouti et surtout que l’on ait bien respecté les processus de la négociation, bon, si on n’est pas d’accord, on n’est pas d’accord, peut-être qu’il faut quelque chose, qu’il y ait un conflit ou autre. Mais, à 80-90%, je pense que l’on peut tout régler par la voie du dialogue. Je mettrais le mot « négociation » un peu de côté parce que dans la culture française, il est quand même empreint de connotations négatives. Nous, on est un peuple des Lumières, quand je dis : on va discuter, les gens ouvrent leurs chakras, quand je dis : on va négocier, les gens ferment leurs chakras. Déjà, la formation est indispensable et j’aimerais que les gens soient formés et je pense que ton podcast va dans ce sens et je suis extrêmement favorable à ça, d’ailleurs, tu as un excellent séminaire de formation en ligne. Ensuite, en ce qui concerne mon métier, la problématique des gens, c’est qu’ils hésitent naturellement entre deux approches : l’approche de l’avocat avec un prisme très juridique, l’avocat va essentiellement voir l’écart à la loi, l’écart à la réglementation, l’écart au contrat et va avoir une démarche de « juridiquement, c’est ça », à l’opposé, il y a des gens qui vont dire : moi, je sais négocier et il est hors de question que je paye un conseil, je vais me débrouiller tout seul. Ce que j’ai créé est entre les deux. En fait, c’est ce que tu as dit, le risque d’y aller seul est d’être pris par l’émotion. L’émotion, c’est quoi ? C’est qu’en fait, quand on a travaillé des années avec des personnes, ce n’est pas facile d’avoir une négociation structurée, rigoureuse et froide. On est dans des négociations chaudes et des fois, on s’emporte et quand il y a des emportements, en fait, on négocie mal. On finit par dire : j’ai fait un accord gagnant-gagnant mais il n’y a pas d’accord gagnant-gagnant. Un accord, c’est un jeu de rapport de force. Si j’ai tous les rapports de force avec moi, ça m’est égal que la personne gagne ou perde. Si je n’ai pas de rapport de force, je prends ce que l’on me donne. Donc, bien sûr, je prêche pour ma paroisse mais au-delà de prêcher pour paroisse, l’accompagnement pendant cette période me semble indispensable et il faut arrêter de dire : oui, mais c’est un coût. Non, c’est un investissement qui permet de préserver une réputation, de préserver une carrière et surtout de préserver une vie de famille, parce que quand ça se passe mal, derrière, ça subit le coup.

C’est intéressant, je comprends ce que tu dis. Dis-moi si je me trompe, si j’essaye de donner un tips à des personnes qui voudraient peut-être essayer d’y aller toutes seules, d’une certaine manière, ce qui est compliqué quand on a créé du lien dans la durée, c’est qu’on est dans un process de sympathie, c’est-à-dire qu’on n’a peu de lucidité sur la relation et les émotions vont dans les deux sens, si l’autre se met en colère, je ne vais pas avoir cette lucidité, je vais moi-même me mettre en colère et on arrive dans des impasses très rapidement, et que si on se concentre trop sur les conséquences d’un succès ou d’un échec, ça ne nous aide pas non plus à avoir cette lucidité dans le cadre de cette négociation. Donc la première chose qu’on pourrait faire, c’est d’essayer de prendre de la hauteur, d’essayer peut-être d’être la meilleure version de soi-même sur son processus de négo, sans penser à faire le coup parfait ou à être trop rapide pour aller chercher un accord favorable ou défavorable et toi, ce que tu apportes, c’est ce regard extérieur qui permet de gagner en lucidité.

 Oui, mais c’est plus qu’un regard extérieur, nous, on a une froideur totale sur les dossiers, on a toutes les stratégies en package et en fait, lorsqu’on a un client, en une heure on est capable de lui dire : voilà la solution, voilà la stratégie qu’il faut appliquer et avec 17 ans d’expérience, on sait qu’on ne se trompe pas. Il n’y a pas d’errements, il n’y a pas de balbutiements, il n’y a pas d’essais-erreurs parce qu’en matière de ces négociations-là, chaque fois que l’on dit un mot, ça cristallise une position et à un moment, les positions sont trop cristallisées, donc la personne qui a trop parlé, finalement, elle a fermé son jeu. Bien sûr que les personnes peuvent y aller seules, c’est juste, comme toujours, quels sont les enjeux ? Si les enjeux sont légers, si je vends ma bagnole, je ne vais pas mourir de l’avoir vendue 2000 euros moins cher que ce que j’avais prévu, si par contre c’est une séparation, il s’agit de mes capacités de rebond professionnel, il s’agit de sortir la tête haute, il s’agit de garantir que j’aurai encore de bonnes relations avec ma société, il s’agit d’avoir suffisamment d’argent pour pouvoir être serein pour trouver un nouvel emploi ou pour créer une entreprise. C’est une question d’enjeux. Les personnes qui veulent aller seules en disant : je sais faire ou je n’ai pas envie de payer, c’est leur responsabilité.

Et si tu avais un conseil à donner à ces personnes qui voudraient quand même y aller seules, parce que c’est un choix qui est libre, quel est le conseil que tu pourrais leur donner pour essayer d’obtenir le meilleur de la situation ?

Un conseil c’est toujours difficile pour un négociateur.

Ou deux ou trois, ou un état d’esprit.

Déjà, respecter votre interlocuteur.

Oui, la seule personne qui peut vous donner quelque chose, c’est l’autre.

Oui, mais précisément, c’est respecter votre interlocuteur, et votre meilleur allié, c’est votre N+1, parce que lui a la capacité d’influencer votre organisation et vous, vous ne l’avez peut-être pas.

Génial.  

Oui, parce qu’il y a beaucoup d’erreurs qui sont faites : mon N+1 n’est pas intéressant, je vais voir mon N+2, je vais parler au DRH. En fait, là, on entre dans de l’enlisement, alors que si vous influencez votre N+1, même si vous considérez qu’il ou elle n’est pas à la hauteur, votre dossier sera résolu.

C’est vraiment intéressant, c’est respecter cette hiérarchie d’une certaine manière, ne pas aller trop haut trop rapidement et ne pas se faire, en plus, un ennemi de son N+1 qui aurait l’impression de se faire bypasser, légitimement je pense.

Le N+1 a été mis en place par le N+2 par définition, avec l’aval des RH. Un N-2 n’a pas la capacité, même s’il le croit, à déloger un N+1. Si je dis du mal de mon patron, son patron va dire : qu’est-ce qui lui prend ? Ça ne va pas ? La solution se trouve chez votre N+1.

« La solution se trouve chez votre N+1 », c’est très fort. J’aime beaucoup. Dernière question Thierry, j’ai l’habitude de finir comme ça, si le Thierry d’aujourd’hui devait rencontrer le Thierry quand il avait 20 ans, quel est le conseil qu’il lui donnerait ?

C’est un peu particulier parce que moi j’ai une formation hétéroclite. Je viens de la finance, après j’ai fait un MBA, après j’ai fait du droit. J’ai fait beaucoup de métiers dans ma vie pour arriver sur ce métier de l’humain.

Un conseil pro ou perso. Quel est le conseil du Thierry d’aujourd’hui que tu donnerais au Thierry quand il avait 20 ans ? 

Crois en toi peut-être.

Génial. C’est fort. L’état d’esprit fait beaucoup de choses en plus dans la négo. Si on croit qu’on peut faire des choses, généralement, on les fait.

Je dis toujours à mes clients : vous savez, le présent existe, le futur, c’est vous qui le créez et les outils de négociation vont permettre de créer un futur.

Le passé est révolu, le futur incertain, vivons le présent ! Merci beaucoup Thierry pour ton partage. Pour ceux qui veulent aller plus loin, parce que tu proposes beaucoup de contenus sur tes plateformes, on mettra les liens juste en dessous de la vidéo ou du podcast. Un grand merci pour ta participation.

Merci Julien, j’espère avoir donné de l’information utile à tous.

C’était très pertinent ! Merci à tous et je vous dis à dans deux semaines pour un nouvel épisode de Pourparler, le podcast de la négociation. Merci !

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